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Grand reportage : La « vraie » fausse image de la femme dans les "diouras" de Kédougou

Au fil du temps l’opinion s’est construit une certaine image (représentation négative) de la femme dans les sites d’orpaillage traditionnel. La plupart des femmes qui s’aventurent dans ces lieux sont considérées comme des vendeuses de charme, « des prostituées », des « bonnes à tout faire », des délinquantes… Pourtant il y a de ces braves femmes qui se battent dignement à la sueur de leur front pour prendre leur place dans ce secteur souvent hostile à leur bonne réputation.

La région de Kédougou compte au moins 90 sites d’orpaillage traditionnel. Le village de Bantaco dans la commune de Tomboronkoto abrite l’un des principaux sites d’orpaillage du département de Kédougou. En vingt ans, de 2000 à nos jours, la population a véritablement augmenté avec une forte présence de communautés étrangères. Ce village est devenu un eldorado pour beaucoup.

«L’orpaillage fait partie de l’une des principales sources de revenus pour les populations. C’est une ruée qui attire d’autres personnes au niveau régional, national et au niveau de la sous-région. On constate qu’il y a plus de plus de femmes qui partent », précise M Dialiba Tandian, manager principal de KEOH, association spécialisée dans l’encadrement des femmes.

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Abritant un important site d’orpaillage, le village de Bantaco accueille chaque année du beau monde. En provenance de divers horizons, les femmes aussi viennent y tenter leur chance.

Au marché du village, assise près de sa table, Fatoumata Binta Diallo s’affaire autour de son fourneau ardent. Elle fait griller des arachides. Elle accepte volontiers d’échanger avec nous tout en continuant son travail. Par moments,  quelques clients interrompent cette discussion.

 «Je suis originaire de la Guinée Conakry. Depuis 2013, je fais des va-et-vient entre la Guinée et Bantaco au Sénégal. Je travaille ici pendant toute la saison sèche et je vais passer trois mois de vacances en Guinée. Je vais souvent en Guinée pour passer la fête de Tabaski avec les membres de la famille», confie-t-elle.

Pour subvenir à leurs besoins quotidiens, ces femmes vendent une diversité de produits, selon les saisons et la demande de la clientèle.

«En saison sèche, nous vendons de la glace, de l’arachide, des ignames, des légumes (tomate, patate, carotte, des choux.). Nous nous débrouillons petit à petit», laisse entendre Mariana Keita.

Fatoumata Binta Diallo, sa voisine d’à côté abonde dans le même sens : «Je me débrouille petit à petit ici à Bantaco. Je vends des arachides grillées, du maïs, des fruits (bananes, pommes, oranges) et de la glace. C’est ça mon travail ici»

Certains hommes reconnaissent la bravoure de ces femmes qui ne se laissent jamais tenter face à l’argent facile.Kassa Keita, président du GIE Foukhaba de Bantaco, témoigne : «Ici, les femmes sont les plus grandes travailleuses. Ce sont les femmes qui déplacent des véhicules chargés de marchandises de Diaobé à Bantaco. Il y en a qui quittent Kédougou avec leurs marchandises pour venir les écouler ici à Bantaco. Si les hommes faisaient autant, on parviendrait à réduire les impacts de la pauvreté. Il y a beaucoup de femmes de Kédougou qui ont réussi à acheter des parcelles et à construire des maisons. Elles s’occupent bien de la santé et des frais de scolarité de leurs enfants. Si elles n’exerçaient pas ce commerce à Bantaco, ces femmes n’auraient jamais pu réaliser ces rêves».

Ce n’est pas un simple hasard si la société jette souvent un mauvais regard sur les femmes fréquentant les diouras. Les constats effectués sur le terrain sont peu reluisants par rapport à l’image de la femme. Mandiaye Diaw, Chef de service départemental de l’action sociale de Kédougou, explique.

«Pourquoi ces femmes orpailleuses, ces femmes qui fréquentent les sites d’orpaillage sont vues négativement ? C’est tout simplement dû à des faits qui se sont produits au niveau de ces sites-là. Les différentes descentes que nous avions effectuées dans ces villages qui abritent des « diouras » notamment Bantaco, Thiabédji, Khossanto, souvent vous rencontrez, des parents qui disent, ma femme m’a quitté à cause des hommes qui sont dans les sites d’orpaillage. La prostitution gagne du terrain avec les Nigérianes, Ghanéennes. Ce qui fait que toute femme qu’on voit là-bas, on pense qu’elle est une femme mauvaise, elle fait la prostitution».

Par ailleurs, Mandiaye Diaw  pointe du doigt les pesanteurs socio-culturelles qui activent les préjugés sur les femmes fréquentant les sites d’orpaillage

Justement, ces femmes ont vite compris qu’elles ne doivent pas toujours dépendre des hommes. D’ailleurs, Fatoumata Binta Diallo avertit.

«Je conseille à mes sœurs de prendre leur courage à deux mains. Si l’homme peut offrir 5000 FCFA à sa femme alors que celle-ci peut trouver 10000 FCFA, elle sera respectée à jamais. Nous devons nous débrouiller car il arrivera un jour où l’époux ne pourra pas satisfaire aux besoins de sa femme. Qu’adviendra-t-il à la femme à ce moment?»

C’est ce qu’a compris le GIE Foukhaba de Bantaco en accordant une place de choix à la femme dans le processus d’exploitation traditionnelle de l’or. Le président du GIE Foukhaba de Bantaco, Kassa Keita, précise à cet effet : «Nous travaillons avec 25 femmes dans notre GIE. Nous ne faisons rien sans les impliquer au début à la fin du processus».

Hélas, beaucoup des préjugés polluent la présence des femmes dans les « diouras», sites d’orpaillage. La plupart de celles qui s’aventurent dans ces lieux sont considérées comme des vendeuses de charme, «des prostituées», des « bonnes à tout faire », des délinquantes. Souvent des préjugés, dont de nombreuses souffrent sur les sites d’orpaillage.

Dialiba Tandian, Manager, principal de KEOH précise : «il y a beaucoup d’hommes qui ne sont pas prêts d’accepter que leurs épouses partent dans les diouras parce que pensant toujours qu’il y aura la prostitution. Au niveau de la société, les gens voient cette présence des femmes dans les sites d’orpaillage d’un mauvais œil »

«Il y a des femmes qui travaillent et qui gagnent dignement leur vie en travaillant durement. Je pense à N (emprunt) qui a gagné au niveau de ces sites et qui a investi au niveau de Kédougou. C’est un exemple parmi les femmes qui gagent honnêtement leur vie.  Nous sommes en Afrique, il y a des coutumes, la religion, les pesanteurs socio-culturelles qui font que quand vous êtes dans ces sites, vous êtes mal vus. Pour eux, la femme doit rester au foyer».

La plupart des femmes que nous avions rencontrées à Bantaco nient en bloc les accusations dont elles sont victimes.

«Ce qui se dit parfois ce n’est pas ce qui existe ici à Bantaco. Ce n’est pas du tout vrai. Il y a des femmes célibataires qui se débrouillent petit à petit. Celui qui te domine finit toujours par salir ta réputation, jeter de l’opprobre sur toi. Vous pourrez aussi vérifier vous-mêmes mes propos. Ici, la plupart des femmes vivent avec leurs époux. Il n’y a que peu de célibataires. Moi, personnellement, je vis avec mon mari et mes enfants ici à Bantaco. Même à Kédougou, on parle de la situation des femmes dans les « diouras ». Bantaco est devenu une ville maintenant» a indiqué Mariama Keita.

De son côté, Kassa Keita, président du G.I.E Foukhaba de Bantaco par ailleurs membre de comité local de sécurité «Tomboulouma» prend aussi la défense des femmes.

«Ce qui se dit à propos des femmes qui fréquentent les sites d’orpaillage n’est que pure calomnie. Je n’en ai jamais été témoin. C’est juste une façon de déshonorer les femmes. Ce sont les propos de gens qui ne travaillent pas et qui dépendent des autres. Ces individus se font une mauvaise impression de ces braves femmes qui se nourrissent à la sueur de leur front. A Bantaco, des femmes de Kédougou viennent vendre leurs marchandises. Elles arrivent en groupe le matin et retournent ensemble le soir à Kédougou. Vous pouvez vérifier auprès des chauffeurs».

Surveillant ses arachides comme de l’huile sur le feu, Fatoumata Binta Diallo oriente la discussion sur sa propre personne au lieu de juger les autres femmes.

«Je ne dirai pas qu’il y a certaines femmes qui se prostituent. Je ne peux pas les critiquer. On ne peut juger que sa propre personne. Qu’il pleuve ou qu’il vente, moi, je suis toujours dans mon lieu de travail en saison sèche comme en hivernage. Actuellement je suis en train de griller des arachides. Il n’y a pas assez de produits en cette période à part l’arachide, les pommes et les bananes».

Les organisations de défense des droits de la femme sont prêtes à aller en croisade contre cette mauvaise appréciation de la présence féminine dans les diouras. 

« Le dioura est un lieu de travail. Les gens viennent pour gagner de l’argent à la sueur de leur front. Il n’est pas dit que chaque femme qui fréquente le dioura est de mœurs légères. Il y a des femmes battantes, des femmes vertueuses, qui travaillent, qui vont pour investir dans leurs maisons, qui s’occupent bien de leurs époux et de leurs enfants. C’est ce côté positif qu’il faut voir pour ces femmes-là. Certes il y a d’autres qui viennent pour autre chose, c’est leur problème. Il faut respecter la vie de chacun d’entre nous. Que ce soit homme ou femme. Il ne s’agit pas de mettre toutes les femmes dans le même sac. Et ça je ne le tolère pas, que des gens disent que toutes les femmes qui sont dans les diouras sont de mœurs légères».

Ces préjugés ont des conséquences sur l’épanouissement des femmes.

«Ces préjugés réduisent la capacité d’émancipation des femmes surtout des possibilités, des opportunités de gagner des moyens qui leur permettraient d’investir dans la santé et l’éducation de leurs enfants ou sur des questions de nutrition», précise M. Tandian.

Une batterie de mesures s’impose pour déconstruire tous ces préjugés qui polluent l’environnement de la femme, mère de l’humanité.

«Il faudra appeler les gens à aller vers l’information, ne pas rester là, à partir d’un cas particulier vouloir généraliser. Il faut des séances de sensibilisation. Il faut que ces femmes-là sortent de leur silence et expliquent à la société que ce ne sont pas toutes les femmes qui font de la prostitution. Il y a des femmes qui ont réussi honnêtement. Celles-ci doivent être mises en avant pour qu’elles puissent mieux communiquer avec les populations. Il faut les accompagner dans les diouras, organiser les diouras pour qu’ils soient plus à la portée des femmes pour qu’elles puissent s’en sortir sans dépendre des hommes» recommandent M Diaw et M Tandian.

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